Le 30 janvier 2017, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision (2016 QCCA 103) unanime dans laquelle elle confirme l’obligation de l’employeur, qui décide d’offrir certains avantages aux employés qui s’absentent du travail, de le faire de manière non discriminatoire.
Ainsi, si l’employeur accorde une prime à l’employée absente pour une courte durée en raison d’obligations parentales ou familiales, il doit, selon la Cour, accorder cette même prime à l’employée absente en congé de maternité.
Au passage, la Cour réitère que la « situation de famille » n’est pas un motif de discrimination prohibé en vertu de la Charte québécoise des droits et libertés (Charte).
Les faits
Lors du renouvellement de la convention collective en juillet 2012, les parties s’entendent pour accorder une prime de fonction juridique de 2 % du traitement versé pour chaque heure régulière rémunérée au juriste effectuant des tâches prévues à la Directive concernant la classification des avocats et notaires. Une somme forfaitaire rétroactive est également accordée au juriste pour les heures rémunérées entre avril 2011 et la date de la signature de la convention. Nous référerons ci-après à ces sommes comme « la prime de fonction juridique ».
Les parties ne s’entendent toutefois pas sur la portée de l’application de la prime de fonction juridique aux juristes absents. Ainsi, l’employeur refuse de payer la prime aux employé(e)s en congé de maternité, congé pour adoption, congé de paternité, congé de maladie/invalidité (après l’épuisement des congés de maladie prévus à la convention) ainsi qu’aux employés bénéficiant d’une absence sans solde (« premier groupe »).
Il accepte toutefois de payer cette somme aux employés absents en raison de libérations syndicales, jours fériés, congés pour raisons familiales et parentales ainsi que congés reliés à des affaires judiciaires (« deuxième groupe »).
Le grief de Me Lecavalier, une employée ayant bénéficié d’un congé de maternité et n’ayant pas reçu la prime, est porté à l’arbitrage.
Le jugement de la Cour d’appel
D’emblée, la Cour reconnaît que l’obligation d’un employeur de rémunérer un employé est normalement conditionnelle à l’existence d’une prestation de travail fournie par l’employé. Toutefois, lorsque l’employeur décide d’accorder des avantages sociaux à des employés absents du travail, « il doit le faire d’une façon qui assure que l’application de ces avantages ne conduit pas à une discrimination pour un motif prohibé » 1 .
Afin de justifier son refus de verser la prime de fonction juridique aux employées en congé de maternité, l’employeur invoquait notamment le fait que ces dernières recevaient non pas un traitement pendant leur absence, mais plutôt une indemnité tenant lieu de traitement 2 .
Pour la Cour, ces explications ne tiennent pas la route : la prime de fonction juridique est accordée aux employés qui effectuent des tâches et sont rémunérés pour leur travail. À première vue, elle ne vise donc pas les employés absents.
Qui plus est, la convention collective exclut spécifiquement les primes de la notion de traitement. Aucun employé absent ne devrait donc bénéficier de la prime de fonction juridique puisqu’il ne travaille pas et que le traitement ou l’indemnité qu’il reçoit, selon le cas, pendant son absence, exclut expressément la prime de fonction juridique.
Pourtant, l’employeur module le texte de la convention et accorde la prime de fonction juridique à certains employés absents! Qu’il s’agisse d’une indemnité tenant lieu de traitement ou de traitement pur et simple n’a aucun impact. La Cour ajoute que le défaut d’explications pour justifier la distinction est « suspect et troublant ».
Le refus de l’employeur de moduler la définition de traitement dans les cas d’absences de longue durée, dont le congé de maternité, alors qu’il le fait pour les absences de courte durée, ne conduit donc qu’à une conclusion : la présence de discrimination.
Commentaires
En rendant cette décision, la Cour d’appel lance un message clair : l’employeur qui accorde un avantage social X aux employés absents doit le faire de manière non discriminatoire.
Bien qu’il soit judicieux, pour l’employeur qui souhaite éviter toute contestation, d’octroyer les mêmes avantages pour tous les absents, la Cour rappelle qu’il n’est pas interdit de traiter différemment certains types d’absence ou d’accorder des avantages modulés selon la nature de l’absence, par exemple, comme c’était le cas dans cette affaire, d’accorder une indemnité de 66 % du salaire aux absents en raison d’invalidité et de 93 % aux absentes en congé de maternité.
Par ailleurs, et bien que la Cour en traite relativement peu, la question de l’identification du « groupe de comparaison » adéquat est primordiale.
Autrement dit, l’employeur pourra, en certains cas, justifier la différence de traitement, ou encore démontrer que le groupe comparable reçoit le même traitement et qu’il n’y a donc pas de différence.
À noter que cette décision n’empêche en rien l’employeur de relier le droit à certains avantages à l’existence d’une prestation de travail. En ce cas cependant, il devra appliquer cette exigence de manière non discriminatoire.
Notes
1. Para 41.
2. En effet, la convention collective prévoyait que l’employeur versait à l’employée en congé de maternité une indemnité égale à la différence entre 93 % de son traitement hebdomadaire et les prestations prévues par le Régime québécois d’assurance parentale, et ce, pendant les 21 premières semaines d’absence.