Pour maîtriser la transmission de la COVID-19, le gouvernement fédéral a imposé une quarantaine obligatoire de 14 jours aux personnes qui reviennent au Canada, sous réserve de certaines exceptions.
Après s’être vu refuser l’exemption de quarantaine lors de son retour d’un court séjour aux États-Unis dans le cadre de son travail, un citoyen canadien a déposé une demande de contrôle judiciaire du décret de quarantaine ainsi qu’une requête en injonction interlocutoire ou suspension. Le 12 novembre, la Cour fédérale a rejeté la requête du demandeur dans la décision Monsanto v Canada (Health)1.
Le contexte législatif
Le 30 octobre 2020, la gouverneure en conseil a publié la septième itération du décret intitulé Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID-19 au Canada (obligation de s’isoler)2 (Décret), comme il est autorisé en vertu de l’article 58 de la Loi sur la mise en quarantaine3. L’alinéa 3(1)(a) du Décret prévoit que toute personne qui entre au Canada et qui ne présente pas de signes et symptômes de la COVID-19 est tenue de se mettre en quarantaine jusqu’à l’expiration de la période de 14 jours qui commence le jour de son entrée au Canada.
Le Décret prévoit également plusieurs exceptions à la quarantaine obligatoire. Le paragraphe 6(n) soustrait de l’obligation de quarantaine obligatoire la personne :
qui entre au Canada pour revenir à son lieu de résidence habituel au Canada après avoir exécuté une activité de tous les jours qui, compte tenu des contraintes géographiques, nécessite l’entrée aux États-Unis.
Les faits
Le demandeur, résident de Mississauga, est un vidéographe qui travaille chez Rebel News Network Ltd., service canadien d’information en ligne. Rebel News a dépêché le demandeur au Michigan pour couvrir un événement dans le cadre de la campagne électorale américaine. L’employeur a fourni au demandeur une lettre signée expliquant l’objet de sa visite et indiquant qu’il pouvait se soustraire à la quarantaine aux termes du paragraphe 6(n) du Décret.
Lors de son retour au Canada, le demandeur s’est vu refuser l’exemption par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) du fait que l’exemption prévue au paragraphe 6(n) ne s’appliquait pas à lui.
Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent de l’ASFC. Il a ensuite déposé une requête urgente demandant une injonction interlocutoire ou une suspension en attendant le contrôle judiciaire pour se soustraire au décret de quarantaine.
Requête en injonction interlocutoire ou suspension
Après avoir établi qu’elle avait compétence pour entendre la requête, la Cour a appliqué une analyse en trois étapes établie par la Cour suprême du Canada dans RJR-MacDonald4 dans le cadre de sa décision d’émettre l’injonction ou d’ordonner la suspension demandée. Les trois étapes doivent avoir été franchies pour que la demande soit accueillie.
Première étape – Le demandeur est-il susceptible d’obtenir un contrôle judiciaire?
La Cour a expliqué que, contrairement aux autres exemptions liées à l’emploi prévues dans le Décret, le paragraphe 6(n) ne s’applique pas aux activités de tous les jours de chaque résident canadien dans le cadre de son emploi. La Cour a indiqué que « [traduction] si la gouverneure en conseil avait eu l’intention de promulguer une exception générale relative à la période de quarantaine de 14 jours s’appliquant à toutes les fonctions d’emploi ordinaires exercées par tous les Canadiens, sans tenir compte de l’emplacement de leur résidence au Canada, on pourrait s’attendre à ce qu’un langage plus clair ait été utilisé »5.
Compte tenu de la note explicative de l’Agence de la santé publique du Canada, l’exemption prévue au paragraphe 6(n) ne s’applique qu’aux personnes dont le lieu de résidence habituel se trouve dans une communauté transfrontalière et qui, par nécessité, traversent la frontière pour exercer leurs activités de tous les jours6. Étant donné que le demandeur traversait la frontière dans le cadre de son emploi pour la première fois depuis le début de la pandémie, l’activité ne peut être considérée comme faisant partie de ses fonctions quotidiennes. Le fait de traverser la frontière pour se rendre à l’événement dans le cadre de la campagne était un choix d’entreprise plutôt qu’une nécessité.
Ainsi, la Cour a conclu qu’il était peu probable que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit accueillie.
Deuxième étape – Le demandeur subirait-il un préjudice irréparable si la demande était rejetée?
Compte tenu des conclusions qu’elle a tirées à la première étape et à la troisième étape de l’analyse prévue dans RJR-MacDonald, la Cour a présumé que la prétendue privation de liberté du demandeur pendant la période de quarantaine constituerait un préjudice irréparable. Cependant, le préjudice économique subi par l’employeur ne devait pas être pris en considération étant donné que le préjudice irréparable doit être subi par le demandeur et non par un tiers.
Troisième étape – Laquelle des parties subira le plus grand préjudice si l’injonction est accordée ou refusée?
La Cour a reconnu que la perte de liberté temporaire constituait un préjudice important subi par le demandeur, mais elle n’a pas reconnu que son absence du travail constituait un préjudice important pour son employeur. Dans le contexte d’une pandémie mondiale, les préjudices subis par le demandeur en raison de la quarantaine n’étaient pas supérieurs aux dommages possibles pouvant être causés au public canadien à la suite de l’octroi d’une injonction.
La Cour a conclu qu’il était juste et équitable de ne pas émettre d’injonction interlocutoire ou de suspension.
Points à retenir
Bien que la Cour n’ait pas effectué de contrôle judiciaire exhaustif de la décision de l’agent de l’ASFC, la décision de la Cour relativement à l’injonction interlocutoire ou la suspension laisse entendre que l’exemption aux termes du paragraphe 6(n) du Décret sera interprétée de manière restrictive pour être appliquée aux personnes dont le lieu de résidence habituel se trouve dans une communauté transfrontalière.
Les auteurs désirent remercier Stefanie Thibert, stagiaire, pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique.