Le 25 mai 2019, les dernières dispositions de la Loi sur l’Autorité des marchés publics (la Loi) sont entrées en vigueur : l’Autorité des marchés publics (l’AMP) est dorénavant en mesure d’assumer pleinement son rôle de surveillance et d’encadrement des marchés publics au Québec, notamment au moyen du processus de traitement de plaintes.
Nouveau recours offert aux soumissionnaires : le processus de traitement des plaintes
Depuis le 25 mai 2019, les soumissionnaires disposent d’une nouvelle avenue leur permettant de soulever, en temps utile et à peu de frais, une irrégularité constatée dans le contexte d’un processus d’appel d’offres public.
Il s’agit de la procédure de traitement de plaintes mise en place par la Loi. Cette procédure comporte deux étapes, à savoir 1) une plainte déposée auprès de l’organisme public et 2) si nécessaire, une plainte déposée auprès de l’AMP.
1re étape : plainte auprès de l’organisme public
La nouvelle procédure de traitement de plaintes permet à toute personne intéressée (ou un groupe d’entreprises) de déposer, dans un premier temps, une plainte directement auprès de l’organisme public si elle estime que les documents d’appel d’offres public :
- prévoient des conditions qui n’assurent pas un traitement intègre et équitable des concurrents;
- ne permettent pas à des concurrents d’y participer bien qu’ils soient qualifiés pour répondre aux besoins exprimés; ou
- ne sont pas conformes au cadre normatif applicable.
Cette plainte devra être reçue par l’organisme public au plus tard à la date limite de réception des plaintes prévue dans les documents d’appel d’offres. Cette date de réception des plaintes devra correspondre à la moitié du délai de réception des soumissions par l’organisme public et ne pourra être inférieure à 10 jours. Par exemple, si l’appel d’offres est publié le 1er juin 2019 et que la date limite de réception des soumissions est le 30 juin 2019, la date limite de réception des plaintes devra alors être fixée au 15 juin.
L’organisme public devra transmettre au soumissionnaire sa décision motivée par écrit au plus tard trois jours avant la date limite de réception des soumissions.
Le dépôt d’une plainte auprès d’un organisme public doit s’effectuer à partir du formulaire électronique accessible à l’adresse suivante : https://www.amp.gouv.qc.ca/porter-plainte/plainte-organisme-public/.
2e étape : plainte auprès de l’AMP
Si le soumissionnaire est insatisfait de la décision rendue par l’organisme public, ou en l’absence d’une décision dans le délai imparti, il pourra alors déposer une plainte à l’AMP. La plainte devra être reçue par l’AMP au plus tard trois jours suivant la réception, par le soumissionnaire, de la décision de l’organisme public ou, le cas échéant, au plus tard trois jours avant la date limite de réception des soumissions si l’organisme public n’a pas rendu sa décision.
Le dépôt d’une plainte à l’AMP doit s’effectuer à partir du formulaire électronique accessible à l’adresse suivante : https://amp.gouv.qc.ca/porter-plainte/plainte-amp/.
Surveillance des contrats attribués de gré à gré
La procédure de traitement de plaintes s’appliquera également à certains contrats attribués de gré à gré. Il s’agit plus précisément des contrats comportant une dépense égale ou supérieure au seuil d’appel d’offres public qu’un organisme public peut conclure de gré à gré lorsqu’il estime qu’il lui sera possible de démontrer qu’un appel d’offres public ne servirait pas l’intérêt public.
Dorénavant, l’organisme public devra publier dans le système électronique d’appel d’offres (SEAO) un avis d’intention dans les 15 jours précédant la date envisagée pour la conclusion du contrat, ce qui permettra ainsi à toute entreprise de manifester son intérêt à réaliser le contrat. Cet avis devra notamment indiquer :
- le nom du contractant avec qui l’organisme public envisage de conclure le contrat;
- la description détaillée des besoins de l’organisme public et des obligations prévues; et
- les motifs invoqués par l’organisme public pour conclure le contrat de gré à gré.
L’organisme public devra transmettre à l’entreprise ayant manifesté son intérêt sa décision de maintenir ou non son intention de conclure le contrat de gré à gré. Si l’entreprise est insatisfaite de la décision rendue, ou en l’absence d’une décision dans le délai imparti, elle pourra déposer une plainte à l’AMP.
L’AMP pourra, au terme de son examen, ordonner à l’organisme public de ne pas donner suite à son intention de conclure le contrat de gré à gré, ce qui l’obligera alors à recourir à l’appel d’offres public afin de conclure le contrat.
Sanctions possibles au terme d’un examen par l’AMP
Au terme de l’examen d’une plainte relative à un processus d’adjudication ou d’attribution d’un contrat public en cours, l’AMP peut rendre une ordonnance enjoignant à l’organisme public de modifier ses documents d’appel d’offres ou d’annuler l’appel d’offres public si elle est d’avis que les conditions de l’appel d’offres 1) n’assurent pas un traitement intègre et équitable des concurrents, 2) ne permettent pas à des concurrents d’y participer bien qu’ils soient qualifiés ou 3) ne sont pas autrement conformes au cadre normatif. Il s’agit à l’évidence d’un important pouvoir de sanction dévolu à l’AMP.
Si l’examen porte toutefois sur un contrat public ayant déjà été octroyé, l’AMP peut alors formuler des recommandations au dirigeant de l’organisme public.
Par ailleurs, tout contrat public conclu dans le cadre d’un processus d’adjudication ou d’attribution avant que l’AMP n’ait rendu sa décision à la suite de la transmission d’une plainte sera résilié de plein droit à compter de la réception d’une notification de l’AMP à cet effet. Il en sera de même si le contrat est conclu en contravention d’une ordonnance rendue par l’AMP.
Enfin, lorsqu’elle exerce sa compétence lui permettant d’examiner la gestion contractuelle d’un organisme public dans son ensemble, l’AMP peut, pour la durée qu’elle fixe, suspendre l’exécution de tout contrat public ou résilier un tel contrat si elle est d’avis que la gravité des manquements constatés le justifie.
Assujettissement des contrats « municipaux »
Les contrats des organismes municipaux, c’est-à-dire, selon la définition de la Loi, les municipalités, les communautés métropolitaines, les régies intermunicipales et les sociétés de transport en commun (STM, RTC, etc.), sont également visés par la Loi et, de ce fait, par la procédure de traitement de plaintes. Cependant, toute décision prise par l’AMP à l’égard d’un organisme municipal prend uniquement la forme d’une recommandation au conseil de l’organisme.
Outils à l’intention des organismes publics et des entreprises
L’AMP offre sur son site Internet divers outils à l’intention des organismes publics et des entreprises en lien avec ses différents services. Des calculateurs de délais ont notamment été préparés afin d’aider les organismes publics à déterminer certaines dates, dont la date de dépôt des plaintes, dans le cadre de leurs appels d’offres.
Conclusion
Les entreprises disposeront dorénavant d’une nouvelle avenue pour tenter de rétablir, à peu de frais, un juste équilibre entre elles et leurs concurrents avant qu’il ne soit trop tard, pour autant qu’elles agissent avec célérité et qu’elles s’assurent de respecter toutes les modalités. Elles devront toutefois s’abstenir d’entreprendre un recours judiciaire avant que l’AMP n’ait rendu sa décision, à défaut de quoi la plainte sera rejetée.
Compte tenu des pouvoirs confiés à l’AMP et des avantages importants que promet ce nouveau système, il y a fort à parier, et à souhaiter, que les entreprises n’hésiteront pas à se prévaloir de ce nouveau mécanisme de surveillance. Il reviendra à l'AMP de mettre en place les remparts nécessaires afin de minimiser le risque que ces nouvelles règles puissent être utilisées par certains soumissionnaires à des fins dilatoires ou autrement stratégiques.