Dans la foulée de la décision rendue en octobre 2019 dans le cadre des procédures en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) de Stornoway Diamond Corporation1, la récente décision de la Cour supérieure du Québec dans le cadre des procédures en vertu de la LACC de Nemaska Lithium Inc. et de ses entités affiliées (collectivement, Nemaska) apporte une reconnaissance supplémentaire des ordonnances de dévolution inversée (ODI) à titre d’outil additionnel dont disposent les avocats pratiquant en insolvabilité pour effectuer un transfert efficace des activités d’une entreprise en difficulté. Il s’agit de la première ODI approuvée à la suite d’une contestation.

Comme il est expliqué dans la décision rendue le 15 octobre, une ODI consiste essentiellement en la vente des actions d’une société insolvable à un acheteur, dans laquelle certains actifs et passifs non voulus de la débitrice sont exclus. Ces passifs non pris en charge sont transférés, cédés et dévolus dans des sociétés nouvellement constituées non en exploitation (appelées ResidualCos) dans le cadre d’une réorganisation préalable à la clôture, permettant ainsi à l’acheteur de poursuivre efficacement les activités de la débitrice tout en maintenant en vigueur les permis, licences, autorisations, contrats essentiels et attributs fiscaux existants de la débitrice. Autrement dit, la dévolution des actifs et des passifs indésirables, au lieu du transfert des actifs de la débitrice vers l’acheteur, maintient la structure corporative des sociétés débitrices.

Ainsi, le résultat final est d’expurger de la structure d’entreprise existante des sociétés débitrices tout élément dont l’acheteur ne veut pas, tout en permettant aux sociétés débitrices d’émerger de leurs procédures de restructuration et d’être remplacées par des ResidualCos. Tel que mentionné, l’objectif principal est la préservation des permis et licences, ainsi que les attributs fiscaux. 

Une ODI offre une solution de rechange efficace aux plans d’arrangement et aux ordonnances d’approbation et de dévolution (OAD) traditionnelles, particulièrement dans le cas où les sociétés débitrices exercent des activités dans un environnement hautement réglementé et où aucune valeur ne subsiste après la réalisation de la dette garantie, et où les parties entendent poursuivre les activités de la société débitrice. 

Nemaska ‒ le contexte factuel

Nemaska est une société ouverte qui était en voie de mettre en valeur un important dépôt de spodumène lithium provenant de roche dure, connu comme la mine Whabouchi, dans la région de la Baie-James au Québec, ainsi qu’une usine électrochimique commerciale où le concentré de spodumène serait transformé en hydroxyde de lithium d’une grande pureté au moyen de méthodes exclusives développées par Nemaska.

En grande partie en raison de la baisse du prix du lithium, Nemaska a dû se placer sous la protection de la LACC le 23 décembre 2019. Au terme d’un processus de vente ou de sollicitation d’investisseurs (PVSI), Nemaska a accepté une offre soumise par un groupe de soumissionnaires, incluant Investissement Québec (l’offre). L’opération envisagée aux termes de l’offre était conditionnelle à l’émission d’une ODI.

Toutefois, un créancier et certains actionnaires de Nemaska ont cherché à s’opposer à l’approbation de l’offre. Les arguments soulevaient de multiples motifs d’opposition à l’ODI, notamment le fait que le tribunal n’avait pas le pouvoir d’accorder une ordonnance de dévolution autrement que pour la vente ou l’aliénation d’actifs par le truchement d’une OAD, que l’ODI ne pouvait être permise en vertu de la LACC, car elle permettait à Nemaska d’émerger de la protection en vertu de la LACC hors du cadre d’un plan d’arrangement, que la réorganisation d’entreprise envisagée par l’ODI n’était pas permise en vertu des lois sur les valeurs mobilières et que la quittance en faveur des administrateurs et des dirigeants de Nemaska aux termes de l’opération proposée ne devrait pas être autorisée.

La décision et la reconnaissance officielle des ordonnances de dévolution inversée

Le tribunal a commencé son analyse avec un survol de l’histoire récente des ODI et de leur efficacité à maintenir l’entreprise en exploitation de la débitrice. Le tribunal a souligné qu’il s’agissait de la sixième fois seulement qu’une ODI était demandée en vertu de l’article 36 de la LACC et de la première fois qu’une ODI était contestée.  

Le tribunal a indiqué qu’il n’appartenait pas au tribunal de dicter aux offrants les modalités et conditions qui devaient être comprises dans leur offre et que l’ordonnance non contestée du PVSI constituait le point de départ et la toile de fond à partir desquels la légalité de l’offre devait être analysée. 

Dans le cadre de l’approbation d’une ordonnance de dévolution en vertu de l’article 36 de la LACC, le tribunal doit premièrement passer en revue les critères suivants :

  • la suffisance des efforts déployés pour obtenir le meilleur prix et la prévoyance dont les parties ont fait preuve;
  • l’efficacité et l’intégrité du processus suivi;
  • les intérêts des parties; et
  • la question de savoir si le processus a entraîné une injustice.

De plus, l’analyse doit tenir compte des enseignements de la récente décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Bluberi, notamment :

  • Les lois canadiennes sur l’insolvabilité poursuivent un grand nombre d’objectifs réparateurs généraux, dont ceux-ci : régler de façon rapide, efficace et impartiale l’insolvabilité d’un débiteur; préserver et maximiser la valeur des actifs d’un débiteur; assurer un traitement juste et équitable des réclamations déposées contre un débiteur; protéger l’intérêt public; et, dans le contexte d’une insolvabilité commerciale, établir un équilibre entre les coûts et les bénéfices découlant de la restructuration ou de la liquidation d’une compagnie;
  • La LACC priorise en général le fait d’« éviter des pertes sociales et économiques résultant de la liquidation d’une compagnie insolvable » en facilitant la restructuration de l’entreprise débitrice qui n’a pas encore déposé de proposition en la maintenant dans un état opérationnel, c’est-à-dire en permettant qu’elle poursuive ses activités;
  • En vue de la réalisation des objectifs visés de la loi, un juge surveillant en vertu de la LACC jouit d’une grande discrétion en vertu de l’article 11 de la LACC. Ce pouvoir discrétionnaire doit tendre à la réalisation des objectifs réparateurs de la LACC et le tribunal doit garder à l’esprit trois « considérations de base », qu’il incombe au demandeur de démontrer : 1) que l’ordonnance demandée est indiquée, 2) qu’il a agi de bonne foi et 3) avec la diligence voulue.

Le tribunal a conclu que Nemaska avait agi de bonne foi et avec la diligence requise et que l’approbation de l’ODI constituait la meilleure issue possible, surtout en raison des solutions de rechange qui étaient les suivantes : i) la réalisation des sûretés détenues par les créanciers garantis, ii) la mise en veilleuse du processus de restructuration pour refaire probablement un PVSI dans quelques mois, et ce, à un coût très élevé et dans un marché fort incertain et risqué qui a déjà été analysé sous toutes ses coutures, ou iii) la faillite des débitrices, menant à des choix catastrophiques pour toutes les parties prenantes, notamment les employés, les créanciers, les fournisseurs, la communauté crie et, de façon générale, pour les économies des régions touchées.

Finalement, le tribunal a jugé que la transaction, dans son ensemble, ne pouvait mener qu’à la conclusion que l’émission d’une ODI relevait de l’usage valide du pouvoir discrétionnaire du juge surveillant, surtout lorsque l’ODI maximisait les recouvrements des créanciers, permettait la poursuite des activités des débitrices et transférait efficacement les permis, licences et autorisations nécessaires à l’acheteur.

Par conséquent, le fait de limiter les recours disponibles en vertu de la LACC restreindrait à mauvais escient l’éventail des solutions innovatrices permettant de faire face aux problèmes commerciaux et sociaux de plus en plus complexes. En outre, un acheteur est autorisé à demander des quittances en faveur des administrateurs et des dirigeants des débitrices par le truchement d’une ODI, à plus forte raison lorsque la quittance est modulée de façon à protéger les droits des actionnaires et des créanciers qui pourraient avoir une réclamation valide fondée sur la conduite injustifiée ou abusive des administrateurs et des dirigeants.

À retenir

En permettant la dévolution des actifs et des passifs non voulus, une ODI pourrait être la manière la plus efficace de faciliter le transfert des activités d’une entreprise en exploitation, car elle permet à une entreprise d’émerger des procédures en vertu de la LACC rapidement tout en préservant les principaux attributs attachés à la structure d’entreprise existante des sociétés débitrices. De surcroît, une ODI favorise un changement de contrôle réel avec des quittances générales en faveur de tiers, notamment les administrateurs et les dirigeants des débitrices qui ont joué un rôle crucial dans la réorganisation. 

La nature réparatrice de la LACC vise à permettre à des sociétés insolvables de se restructurer, plus particulièrement lorsque ces opérations consistent à permettre une réorganisation interne qui est équitable pour les intérêts des parties prenantes touchées et que cela ne cause aucun préjudice aux principaux créanciers de la société demanderesse. 

Les ODI constituent l’exemple le plus récent de la souplesse qu’offrent les procédures en vertu de la LACC à l’égard des opérations de fusion et d’acquisition visant des sociétés en difficulté.


Notes

1   Norton Rose Fulbright Canada a représenté les débitrices dans le cadre des procédures en vertu de la LACC de Stornoway Diamond Corporation.



Personne-ressource

Associé, Chef canadien, Restructuration

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