Le 18 octobre, la Chambre des communes a adopté à l’unanimité le projet de loi C-244, un projet de loi émanant d’un député qui vise à soutenir le droit de réparer. Le projet de loi vise à modifier la Loi sur le droit d’auteur pour permettre aux personnes de contourner les mesures techniques de protection (MTP) lorsqu’elles le font dans le but d’entretenir ou de réparer un produit.
Ce projet de loi est en grande partie la réintroduction du projet de loi C-272, qui avait été présenté en février 2021. Ce projet de loi C-272 avait reçu un soutien unanime de l’ensemble des partis lors de ses première et deuxième lectures et, le 2 juin 2021, il avait été renvoyé à un comité pour un examen plus approfondi. Cependant, en raison des élections fédérales de l’automne 2021, le projet de loi C-272 est mort au feuilleton.
Bref historique des MTP dans la Loi sur le droit d’auteur
Les MTP sont définies à l’article 41 de la Loi sur le droit d’auteur comme toute technologie, tout dispositif ou tout composant efficace qui (a) contrôle l’accès à une œuvre; ou (b) restreint l’exercice des droits exclusifs du titulaire du droit d’auteur, tels que la reproduction ou la publication de l’œuvre. Les interdictions de contournement des MTP ont été considérablement élargies en 2012 par la Loi sur la modernisation du droit d’auteur, en partant du principe que de telles mesures offriraient aux créateurs une meilleure protection contre l’accès non autorisé à leurs œuvres ou l’utilisation de celles-ci. La Loi sur le droit d’auteur interdit actuellement le contournement des MTP de contrôle d’accès, même si l’œuvre a été acquise légalement.
Conformément au paragraphe 41.1(2) de la Loi sur le droit d’auteur, le détenteur d’un droit d’auteur dont la MTP a été contournée a droit aux mêmes réparations que si ses droits d’auteur avaient été violés. Bien que la loi prévoie quelques exceptions limitées pour lesquelles le contournement pourrait être autorisé (par exemple, la protection des informations personnelles), dans la majorité des cas la raison du contournement est sans conséquence. Une personne peut donc être tenue pour responsable qu’une MTP soit contournée dans un but illicite (par exemple, une distribution non autorisée d’œuvres protégées par le droit d’auteur) ou dans un but licite (par exemple, la correction d’une erreur dans un logiciel ou la réparation d’une machine sur laquelle un logiciel protégé par le droit d’auteur a été incorporé).
MTP et droit à la réparation
Des préoccupations concernant l’utilisation potentiellement abusive des MTP ont été soulevées lors des débats entourant l’adoption de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur. Toutefois, c’est à la suite de la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Nintendo of America Inc c. King, qui a octroyé des dommages-intérêts de plus de 12 millions de dollars sur la base de l’application de dispositions anti-contournement, que la politique publique canadienne a évolué de manière plus tangible en ce qui concerne le contournement des MTP. Lors de l’examen statutaire de la Loi sur le droit d’auteur effectué en juin 2019 par le Comité permanent de l’industrie et de la technologie de la Chambre des communes, la décision Nintendo a été citée comme fondement de la recommandation faite au gouvernement du Canada :
« Que le gouvernement du Canada se penche sur des mesures pour moderniser les politiques relatives au droit d’auteur en ce qui concerne les technologies numériques qui ont une incidence sur les Canadiens et les institutions canadiennes, y compris la pertinence des mesures techniques de protection dans le contexte du droit d’auteur, notamment pour faciliter l’entretien, la réparation ou l’adaptation d’un appareil acquis légalement à des fins qui ne portent pas atteinte au droit d’auteur. »
En 2021, le Bureau de la concurrence du Canada a soumis un document de consultation à Innovation, Sciences et Développement économique Canada dans le cadre de la révision de la Loi sur le droit d’auteur. Le Bureau de la concurrence a souligné la tension entre les restrictions étendues de la Loi sur le droit d’auteur sur le contournement des MTP et les objectifs de la Loi sur la concurrence de maintenir et d’encourager la concurrence au Canada. Plus précisément, le Bureau a mentionné que plusieurs dispositions de la Loi sur la concurrence peuvent s’appliquer à l’utilisation de MTP par un fabricant d’équipement d’origine pour restreindre la concurrence, à savoir l’article 75 (refus de vendre), l’article 76 (maintien des prix), l’article 77 (exclusivité, ventes liées et limitation du marché) et l’article 79 (abus de position dominante). Le Bureau a également conclu :
« L’incapacité de contourner légalement les mesures techniques de protection à des fins légitimes ne portant pas atteinte au droit d’auteur, par exemple pour des réparations ou pour assurer l’interopérabilité, peut réduire les choix pour les consommateurs et créer d’importants obstacles aux entreprises qui veulent compétitionner sur les marchés en aval et complémentaires. Étant donné les avantages proconcurrentiels pour les consommateurs et les entreprises, le Bureau soutient l’introduction d’une exception […] pour faciliter les réparations […]. »
Ces conclusions et recommandations sont largement reflétées dans le texte du projet de loi C-244, qui modifierait la Loi sur le droit d’auteur pour préciser que l’interdiction de contourner les MTP « ne s’applique pas à la personne qui contourne une mesure technique de protection dans le seul but d’effectuer tout entretien ou toute réparation sur un produit ».
Approches internationales concernant les mesures anti-contournement des MTP
Bien que d’autres signataires de l’OMPI limitent le contournement des MTP, peu de juridictions disposent de contrôles d’accès aussi étendus que le Canada en vertu de la Loi sur le droit d’auteur actuellement en vigueur, ou disposent de règles accompagnées de mécanismes juridiques plus robustes pour compenser le potentiel d’utilisation abusive des MTP. Par exemple, la loi française sur le droit d’auteur établit une autorité des droits numériques chargée de garantir l’interopérabilité. Aux États-Unis, des exceptions à l’interdiction de contourner les MTP sont régulièrement introduites dans la loi, notamment pour permettre le contournement à des fins de réparation et d’entretien, de recherche sur la sécurité automobile ou d’archivage et de préservation des jeux vidéo. S’il était adopté par le Sénat, le projet de loi canadien C-244 permettrait d’aligner davantage le régime canadien des MTP sur les normes internationales.
Le mouvement plus large du droit à la réparation
L’adaptation des règles relatives aux circonstances dans lesquelles les MTP peuvent être contournées constitue l’une des nombreuses approches adoptées par les États pour promouvoir le droit à la réparation. Le 9 juillet 2021, le président Joe Biden a signé le décret Executive Order on Promoting Competition in the American Economy aux États-Unis, qui exige, entre autres, que la Commission fédérale du commerce adopte une réglementation mettant fin aux pratiques de fabrication qui empêchent la réparation d’équipements et de dispositifs par des tiers. Le 22 mars 2023, la Commission européenne a adopté une nouvelle proposition de directive qui introduirait des obligations pour les producteurs de réparer les défauts à la demande des consommateurs dans certaines circonstances.
Enfin, le 1er juin 2023, le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barette, a déposé un projet de loi qui complète le projet de loi C-244 du point de vue des droits des consommateurs : le projet de loi 29, Loi protégeant les consommateurs contre l’obsolescence programmée et favorisant la durabilité, la réparabilité et l’entretien des biens. Le projet de loi a été adopté à l’unanimité le 3 octobre et a été sanctionné le 5 octobre 2023.
Outre le renforcement de la concurrence, l’un des principaux buts du mouvement en faveur du droit à la réparation est la réduction de l’impact environnemental des déchets technologiques en encourageant l’allongement du cycle de vie des appareils.
Impacts commerciaux
Les députés ont mentionné un certain nombre de groupes pour lesquels le projet de loi C-244 aurait un impact positif, notamment les propriétaires de biens de consommation dotés de composants numériques (tels que les lave-linge ou les sèche-linge), les agriculteurs ou toute personne vivant dans des zones rurales ayant un accès limité à des ateliers de réparation agréés, et les hôpitaux, qui pourront plus facilement réparer leurs équipements médicaux.
Bien que l’approche du Canada en matière de contournement des MTP soit désormais plus proche de celle des États-Unis et de l’Union européenne, les entreprises exerçant leurs activités dans plusieurs juridictions doivent faire attention aux différents cadres applicables d’un État à l’autre. Au Canada, il sera également important pour les entreprises de comprendre les interactions entre le nouveau droit fédéral de réparation et les lois provinciales de protection des consommateurs.