Les sociétés sont considérées comme des personnes morales distinctes des personnes qui les dirigent. Mais elles n’ont cependant pas leur propre âme ni leur propre volonté, ce qui soulève une question lorsque des critères législatifs ou des critères en common law exigent que l’on connaisse l’intention de la société. Quelle intention constitue celle de la société? La réponse repose sur l’état du droit en matière d’attribution d’actes à une société. 

Dans une récente décision : Aquino c. Bondfield Construction Co., 2024 CSC 31, la Cour suprême a revisité le critère applicable à l’attribution d’actes à une société. Elle a précisé que ce critère ne constitue pas une doctrine « universelle », mais qu’elle doit être appliquée de manière téléologique et adaptée au contexte précis en question. 


La décision portait sur des opérations sous-évaluées en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI) (art. 96), aux termes desquelles un contrôleur en vertu de la LACC ou un syndic de faillite peut recouvrer les sommes payées à des personnes « intéressées » aux opérations sous-évaluées avec une société insolvable. La disposition législative en question exigeait que l’on conclue que le débiteur (Bondfield) avait tenté de frauder ou de frustrer un créancier ou d’en retarder le désintéressement. Une âme dirigeante de Bondfield avait mis en place un stratagème de fausses factures qui, selon les tribunaux, visait à frauder ou à frustrer ses créanciers ou à en retarder le désintéressement. La question était de savoir si l’intention de l’âme dirigeante pouvait être attribuée à Bondfield. 

Les appelants ont plaidé en faveur d’une application stricte et inflexible de la législation sur l’attribution d’actes à une société tirés de causes dans lesquelles la Cour suprême s’est demandé si une société devait être tenue criminellement et civilement responsable des méfaits commis par des âmes dirigeantes qui avaient également agi de manière frauduleuse envers la société. Selon cette approche, l’intention de l’âme dirigeante ne pourrait pas être attribuée en raison des exceptions à l’attribution d’actes à une société désignée comme les exceptions pour cause de fraude et d’absence d’avantage à l’attribution d’actes à une société. Il s’agissait des limites imposées par les tribunaux afin de conclure que l’intention d’une âme dirigeante agissant de manière frauduleuse au sein d’une société ou en l’absence d’avantage à une société ne devrait pas être attribuée à une société afin d’éviter d’imposer la responsabilité à une société lorsque celle-ci est elle-même victime de fraude ou de méfait. 

En ce qui concerne des opérations sous-évaluées en vertu de la LFI, la Cour suprême a conclu que ces exceptions ne tenaient pas compte du contexte réparateur prévu à l’article 96, qui ne visait pas la responsabilité de la société, mais permettait le renversement des opérations qui ont privé une société insolvable de valeurs. La Cour suprême du Canada a conclu que le critère d’attribution d’actes à une société devrait être appliqué à l’intention de manière contextuelle et téléologique lorsque la personne responsable des opérations contestées était 1) une âme dirigeante de la société et 2) agissait dans les limites de ses pouvoirs, sans l’application des exceptions pour cause de fraude ou d’absence d’avantage à l’attribution d’actes à une société.  

Conséquences pour l’avenir

La décision Bondfield préserve un outil puissant pour renverser des opérations qu’une âme dirigeante d’une société effectue de manière frauduleuse envers ses créanciers. Appliquer les exceptions pour cause de fraude ou d’absence d’avantage à ce contexte aurait considérablement diminué la portée de la disposition. La jurisprudence en matière d’opérations sous-évaluées révèle que ces opérations sont souvent effectuées avec peu ou pas de contrepartie. En conséquence, appliquer les exceptions pour cause de fraude ou d’absence d’avantage aurait pu priver les dispositions d’une grande partie de leur pouvoir. 

Cependant, de manière plus générale, la décision clarifie une décision de la Cour suprême prise auparavant dans l’arrêt DeJong selon lequel « bien que la présence de considérations relatives à l’intérêt public puisse alourdir le fardeau incombant à la partie qui demande que soient imputés à une société les actes d’une âme dirigeante de cette dernière, l’arrêt Canadian Dredge établit des critères minimaux qui doivent toujours être respectés ». Il est maintenant définitivement établi que le critère d’attribution d’actes à une société ne requiert pas une approche identique dans tous les contextes, mais doit plutôt être abordé en fonction du contexte et de la téléologique de l’attribution de l’intention. Ce critère devrait faire l’objet d'une application générale dans d’autres contextes qui requièrent l’attribution d’une intention, tant en common law qu’en vertu d’une loi. 

L’auteur tient à remercier Farah Abdel Haleem, stagiaire, pour son aide dans la préparation de la présente actualité juridique.
 
Norton Rose Fulbright Canada (Stephen Taylor et Evan Cobb) a représenté avec succès le séquestre en vertu de la LACC de Bondfield Construction Company Limited 1.
 

Notes

1  

Avec Cassels Brock & Blackwell LLP et Torys LLP pour le syndic de faillite d’une entité apparentée.



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