Le 4 juillet 2024, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a publié la version définitive de sa Ligne directrice sur la gestion des risques liés aux changements climatiques (Ligne directrice). La Ligne directrice a pour objectif de renforcer la résilience du secteur financier et des institutions financières qu’elle encadre en ce qui a trait aux incidences des changements climatiques.

La Ligne directrice s’applique aux assureurs autorisés, aux coopératives de services financiers, aux sociétés de fiducie autorisées et aux autres institutions de dépôts autorisées sous la compétence de l’AMF, mais ne s’applique pas de façon générale aux émetteurs assujettis. À l’avenir, les institutions assujetties à la Ligne directrice seront tenues de considérer les risques liées aux changements climatiques dans le cadre de leur processus de gestion intégrée des risques.

Emboîtant le pas du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), l’AMF a intégré et étoffé les plus récentes recommandations émises par les organismes d’établissement des normes en ce qui a trait à la communication d’informations sur les risques climatiques. Il s’agit entre autres des normes IFRS S1 (obligations générales) et S2 (obligations en lien avec les changements climatiques) élaborées par le Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité. Dans le secteur de l’assurance, l’AMF a également pris en compte les recommandations de l’Association internationale des contrôleurs d’assurance et les principes du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire pour une gestion et une surveillance efficaces des risques financiers liés au climat.

La Ligne directrice met en place un échéancier, qui commence à s’appliquer aux institutions financières à l’égard de leur exercice 2024 ou 2025, selon la catégorie que l’AMF leur a attribuée; cette dernière a utilisé plusieurs indicateurs, dont la taille, le niveau de complexité et l’actif net des institutions financières. En juillet 2024, toutes les institutions financières visées devaient avoir été informées de leur catégorisation au moyen d’un courriel de l’AMF.

Le présent article dresse un sommaire des attentes énoncées dans la Ligne directrice, des prochaines phases d’application de la Ligne directrice, ainsi que de l’interaction avec les populaires normes volontaires IFRS S1 et S2.

Importation, mais également élargissement des cadres de présentation d’information volontaires les plus populaires

La Ligne directrice intègre les normes IFRS S1 et S2 en y apportant des ajustements personnalisés pour le secteur financier. Il s’agit d’un écart obligé de la stratégie initiale de l’AMF visant à se conformer aux recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC), qui a officiellement été dissous afin d’être remplacé par les normes IFRS S1 et S2.

En conséquence, toute institution financière visée par la Ligne directrice qui présentait auparavant son information financière en conformité avec le cadre du GIFCC devra apporter quelques ajustements – principalement étoffer l’information existante. Quelle sera l’ampleur de ces efforts?

À cette fin, l’IFRS Foundation a publié une comparaison des obligations aux termes de la norme IFRS S2 et des recommandations du GIFCC1. Essentiellement, la norme IFRS S2 s’appuie sur les recommandations du GIFCC, mais impose de nouvelles obligations, y compris des obligations incombant aux sociétés de divulguer des mesures fondées sur le secteur d’activité, de l’information sur leur utilisation prévue de crédits de carbone pour atteindre leurs cibles d’émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) et de l’information supplémentaire sur leurs émissions financées.

En outre, comme il est expliqué plus en détail ci-après, la Ligne directrice va au-delà de la portée originale des recommandations du GIFCC ou des normes IFRS S1 et S2 en ajoutant deux piliers additionnels qui se rapportent plus particulièrement aux institutions financières, soit : i) la suffisance du capital et des liquidités; et ii) le traitement équitable des clients.

Attentes de l’AMF aux termes de la Ligne directrice

Dans sa Ligne directrice, l’AMF indique ses attentes concernant les risques et possibilités liés aux changements climatiques selon six piliers :

1. Gouvernance : dans la portée de ses responsabilités, le conseil d’administration est tenu de faire preuve de compétence et d’indépendance dans le cadre de son évaluation des risques liés aux changements climatiques. Il incombe au conseil d’administration de veiller à ce que les enjeux et défis propres aux risques climatiques soient pris en compte lorsqu’il prépare des plans d’action importants, des politiques de gestion intégrée des risques, des budgets annuels et des cibles de rendement, qu’il surveille les progrès par rapport aux objectifs et aux cibles et qu’il élabore des politiques en matière de rémunération pour les membres de la haute direction et les titulaires d’autres postes clés. Les rôles et les responsabilités des dirigeants doivent également être clairement définis.

L’institution financière devrait tenir compte de l’incidence des changements climatiques et de la transition vers une économie sobre en carbone dans sa stratégie. À cette fin, l’institution financière devrait mettre en œuvre un plan de transition qui s’inscrit dans son plan d’affaires, sa stratégie et son appétit pour le risque. Ce plan de transition devrait servir de cadre directeur pour la gestion des risques physiques2 et de transition3 associés à une économie sobre en carbone.

2. Gestion intégrée des risques : des stratégies, des politiques et des procédures devraient être mises en place afin de cerner et d’évaluer de façon efficace les risques liés aux changements climatiques et de gérer ces risques en conformité avec le cadre de gestion intégrée des risques, le plan de transition et l’appétit pour le risque de l’institution financière. L’institution financière devrait établir un plan d’atténuation des risques liés aux changements climatiques et assurer régulièrement la surveillance des cibles internes concernant sa gestion des risques et la présentation d’information à leur égard. 

3. Scénarios climatiques et simulations de crise : l’institution financière devrait analyser les scénarios climatiques afin d’évaluer l’incidence des risques climatiques sur son profil de risque, sa stratégie et son modèle d’affaires au cours d’une période appropriée. Cette analyse devrait prendre la forme d’une évaluation des situations futures plausibles et de l’exposition aux risques qui s’y rapporte. En outre, l’institution financière devrait procéder à une analyse normalisée des scénarios climatiques et transmettre, sur demande, les résultats à l’AMF.

Sur ce point, soulignons également que le BSIF a publié l’Exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques le 10 septembre 2024. Ce document explique comment les institutions financières fédérales et les régimes de retraite fédéraux peuvent effectuer des exercices normalisés d’analyse de scénarios climatiques et présenter leurs résultats au BSIF. Compte tenu de la collaboration entre le BSIF et l’AMF en ce qui concerne les questions relatives aux changements climatiques, ce document pourrait être pertinent pour une institution financière désireuse de répondre aux attentes de la Ligne directrice.

4. Suffisance du capital et des liquidités : tout en exécutant son processus d’évaluation interne de l’adéquation des fonds propres, l’institution financière devrait tenir compte de l’incidence des risques liés aux changements climatiques. Elle devrait préserver un niveau adéquat de capital et de liquidités afin d’assurer la couverture de son exposition aux risques liés aux changements climatiques.

5. Traitement équitable des clients : l’institution financière devrait tenir compte des risques liés aux changements climatiques tout au long du cycle de vie de ses produits et tenir les clients informés des risques éventuels liés aux risques de transition et de l’incidence des événements climatiques extrêmes. En cohérence avec son appétit pour le risque, l’institution financière devrait concevoir des produits adaptés aux risques associés aux changements climatiques et tenir compte d’éléments tels que les besoins et les intérêts de ses diverses clientèles cibles et un processus approprié de retrait ou de modification des produits.

La Ligne directrice énonce que le processus de souscription devrait être maintenu à jour régulièrement afin de tenir compte des facteurs de risques liés aux changements climatiques ainsi que des besoins particuliers de certains groupes de clients.

Il incombe également aux institutions financières de veiller à ce que les clients reçoivent de l’information claire et exacte au sujet des risques éventuels liés aux changements climatiques associés aux produits qu’ils envisagent acheter.

6. Communication d’informations financières sur les risques liés aux changements climatiques : en ce qui concerne la communication, l’institution financière devrait divulguer publiquement et de façon consolidée ses principaux éléments de gouvernance et de gestion intégrée des risques ainsi que ses scénarios climatiques et ses simulations de crise en lien avec les changements climatiques. 

L’AMF a établi cinq principes pour la communication efficace de renseignements sur les risques climatiques : i) ils devraient être pertinents, précis et complets; ii) ils devraient être clairs, pondérés et compréhensibles; iii) ils devraient être neutres; iv) ils devraient être appropriés en fonction de la taille, de la nature et de la complexité de l’institution financière; et v) ils devraient être uniformes par rapport aux autres publications de l’institution financière. 

L’institution financière qui est une entité ouverte doit fournir des informations financières relatives aux changements climatiques dans un rapport à l’intention des actionnaires et, si elle ne l’est pas, dans un rapport distinct.

Il est attendu que les institutions financières communiqueront des informations concernant leurs émissions de GES et leurs cibles de gestion des risques liés aux changements climatiques et qu’elles évalueront leur rendement relativement à ces cibles.

La ligne directrice B-15, Gestion des risques climatiques, publiée par le BSIF en mars 2023, vise essentiellement les mêmes éléments que la Ligne directrice de l’AMF, mais cette dernière porte également sur le traitement équitable des clients. Les institutions sous régime fédéral assujetties à la Ligne directrice seront par conséquent assujetties à un régime similaire au Québec, avec quelques obligations de plus.

Échéancier de l’application de la Ligne directrice concernant la communication d’informations sur les changements climatiques

L’annexe 1 de la Ligne directrice établit l’échéancier en ce qui concerne les attentes minimales en matière de communication d’informations sur les changements climatiques, à la fois pour les assureurs et pour les institutions de dépôts. Cette déclaration vient à échéance 180 jours après la fin de l’exercice au plus tard. Le tableau ci-après présente un sommaire des renseignements que contient cette annexe.

Puisque les attentes énoncées dans la Ligne directrice sont plutôt étendues et qu’elles s’appliqueront au cours des prochaines années, les institutions financières devraient se familiariser avec elles et commencer à planifier leur mise en œuvre en conséquence.

Échéancier en ce qui concerne les attentes minimales en matière de communication d’informations sur les changements climatiques

Catégorie d’information Attentes en matière de communication

Regroupement
A

Regroupement
B

Gouvernance a) Description des organes de gouvernance (p. ex. conseils d’administration, comités) ou des personnes responsables de la supervision des risques et possibilités liés aux changements climatiques, y compris leurs responsabilités.
b) Description du rôle de la direction en ce qui concerne le suivi, la gestion et la surveillance des risques et possibilités liés aux changements climatiques, ainsi que les contrôles et procédures en place.
a) 2024
b) 2024
a) 2025
b) 2025
Stratégie a) Description des risques et possibilités recensés qui pourraient avoir une incidence sur les flux de trésorerie et le financement.
b) i Description de l’incidence des changements climatiques sur le modèle d’affaires, la chaîne de valeur, la stratégie, la prise de décisions, la situation financière, le rendement financier et les flux de trésorerie.
b) ii Description du plan de transition climatique de l’institution financière.
c) Description de la résilience de la stratégie de l’institution financière en tenant compte de différents scénarios climatiques.
a) 2024
b) i 2024
b) ii À déterminer
c) À déterminer
a) 2025
b) i 2025
b) ii À déterminer
c) À déterminer
Gestion des risques
a) Informations sur les processus et les politiques utilisées pour cerner et surveiller les risques climatiques.
b) Informations sur les processus utilisés pour cerner et surveiller les possibilités liées aux changements climatiques.
c) Informations sur l’intégration des processus utilisés pour cerner et surveiller les risques et possibilités liés aux changements climatiques au processus de gestion des risques global de l’institution financière.
a) 2024
b) 2024
c) 2024
a) 2025
b) 2025
c) 2025
Indicateurs et objectifs
a) Présentation des indicateurs utilisés pour évaluer les risques et possibilités climatiques.
b) i Déclaration de la quantité absolue des émissions brutes de GES du champ d’application 1 et du champ d’application 2 calculées selon la méthode fondée sur l’emplacement, ainsi qu’une description de la manière dont elles ont été calculées – voir la norme GHG Protocol Corporate Accounting and Reporting Standard.
b) ii Déclaration de la quantité absolue des émissions brutes de GES du champ d’application 3, ainsi qu’une description de la manière dont elles ont été calculées. Des calculs particuliers s’appliquent selon les divisions commerciales et les types d’actifs – voir la norme GHG Protocol Corporate Value Chain (Scope 3) Accounting and Reporting Standard.
c) Déclaration des cibles quantitatives et qualitatives établies pour faire le suivi des progrès accomplis vers l’atteinte de ses objectifs stratégiques, ainsi que des renseignements connexes.
d) Informations sur certains indicateurs intersectoriels.
e) Informations sur certains indicateurs sectoriels.
a) 2024
b) i 2024
b) ii 2025
c) 2024
d) 2025
e) 2025
a) 2025
b) i 2025
b) ii 2026
c) 2025
d) 2026
e) 2026
       

La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario résume son approche en matière de finance durable

Le 7 octobre 2024, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) a publié le document Insights on the OSC Staff’s Approach to Sustainable Finance (disponible en anglais seulement), dans lequel elle énonce ses objectifs et ses sphères d’activité en matière de finance durable. Cela comprend les travaux de réglementation, la surveillance de la conformité, la formation, la recherche, l’interaction avec les parties prenantes et le suivi des développements internationaux dans ce domaine.

À l’heure actuelle, la CVMO semble adopter une approche plus souple en matière de finance durable que l’AMF. En effet, son cadre est moins précis et ne renferme pas d’échéancier de mise en œuvre.

Le fait que l’AMF ne partage pas le pouvoir de réglementation des institutions financières, contrairement aux autres organismes de réglementation provinciaux, pourrait expliquer pourquoi l’AMF peut imposer plus librement des obligations de déclaration distinctes aux institutions financières. Soulignons toutefois que la CVMO mentionne diverses initiatives qui seront menées à bien prochainement; nous pouvons donc nous attendre à d’autres développements en Ontario.

Le 9 octobre 2024, le gouvernement du Canada a publié un communiqué mentionnant son intention de modifier la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) afin d’inclure des exigences de présentation d’informations liées au climat pour les grandes sociétés fermées constituées sous le régime de la LCSA. Un processus réglementaire sera lancé pour établir la substance de ces exigences. Consultez notre récente actualité juridique pour de plus amples renseignements à ce sujet.


Notes

2   Les risques physiques font référence aux conséquences directes découlant d’une augmentation de la fréquence, de l’imprévisibilité et de la sévérité d’événements climatiques extrêmes.

3   Les risques de transition sont générés par la transition vers une économie sobre en carbone. Cette transition peut entre autres se caractériser par de nouvelles politiques gouvernementales, par des changements touchant les décisions et comportements des divers acteurs concernés ou par l’arrivée de nouvelles technologies de substitution.



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