Introduction
Article publié dans l’AJDI le 22 juillet 2019
La réalisation d’un diagnostic de pollution des sols erroné constitue une faute d’imprudence. Cependant, cette faute n’engage pas la responsabilité du bureau d’étude si la mission qui lui avait été confiée était insuffisante au regard du projet envisagé. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation juge que la société donneuse d’ordre est à l’origine de son propre préjudice.
Aucun texte spécifique n’encadre la responsabilité des bureaux d’études en matière de pollution du sol ou de l’eau, et, de manière étonnante, le sujet a été peu étudié à ce jour1 . Il faut reconnaître que la jurisprudence n’est pas très abondante, même si, dans plusieurs cas d’espèce, la responsabilité de bureaux d’études a été retenue à l’occasion d’un audit préalable à des acquisitions2 . Cet arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 7 mars 2019 présente l’intérêt d’apporter un nouvel éclairage sur la nature des obligations des bureaux d’études.
Le 6 mai 2002, un contrat de bail à construction a été conclu entre la commune de Nice et la société en commandite par actions Saint Roch 06 (ci-après la « SCA ») sur un ancien terrain de stockage d’hydrocarbures pétroliers ayant appartenu aux sociétés Esso, Total raffinage marketing et à la SNCF, et ayant fait l’objet d’une cessation d’activité en 1989. La société SCA s’était engagée à édifier sur le site un centre commercial à l’enseigne E. Leclerc.
Le 20 janvier 1997, la SCA avait confié à la société Sol-essais la réalisation d’une étude de sol portant sur les terrains concernés par la nouvelle construction.
Le 23 janvier 1997, la société Sol-essais avait adressé à la SCA la proposition de mission aux termes de laquelle elle rappelait avoir été consultée pour la « reconnaissance de sol et l’étude préliminaire », indiquait que son intervention comporterait « la réalisation de huit essais de pénétration statique lourde à une profondeur estimée à dix mètres et un forage destructif avec enregistrement des paramètres descendu également à dix mètres permettant la mise en place d’un tube piézométrique de huit mètres de hauteur destiné à évaluer le niveau des circulations d’eaux souterraines et de leurs fluctuations éventuelles ». Elle concluait sa proposition en indiquant qu’elle profiterait de l’installation de ce piézomètre pour prélever un échantillon d’eau qui donnerait lieu à une analyse en laboratoire afin d’identifier la teneur en hydrocarbures de la nappe phréatique du secteur.
Au vu des résultats de l’analyse du prélèvement d’eau, la société Sol-essais avait proposé le 14 mai 1997 la réalisation d’une étude complémentaire consistant dans le prélèvement, d’une part, d’un échantillon d’eau et, d’autre part, d’un échantillon de sols, destinés à être analysés en laboratoire pour évaluation de la teneur en hydrocarbures. La SCA avait accepté cette mission complémentaire.
Les deux propositions du bureau d’études précisaient que la mission serait « de type G11 selon la normalisation des missions géotechniques adoptée le 3 juin 1994 » et que les travaux seraient suivis « par un ingénieur spécialiste en mécanique des sols ».
La société Sol-essais avait rendu, le 24 juillet 1997, un rapport définitif dans lequel elle indiquait que la teneur en hydrocarbures totaux était conforme aux normes, puis confirmait, dans une lettre du 14 août 1997, qu’il n’y avait pas lieu de procéder à la dépollution de la nappe phréatique ou du sol, ni de prendre des mesures spéciales pour l’évacuation des déblais et la protection des parties enterrées du futur centre commercial.
Des émanations d’hydrocarbures ayant été révélées, dans le courant du mois de juin 2002, lors de travaux de terrassement, la SCA a fait procéder à un diagnostic de pollution des sols par une autre société. Celle-ci a conclu dans un rapport définitif en date d’octobre 2002 à l’existence d’une pollution des sols par des hydrocarbures, et à la nécessité d’évacuer les terres excavées vers des filières spécialisées et de mettre en place un complexe d’étanchéité et de drainage de gaz.
L’enjeu était de taille puisque le diagnostic erroné avait entraîné des surcoûts importants.
La SCA a alors assigné en justice la société Sol-essais en responsabilité contractuelle pour manquement à son obligation d’information et de conseil, ainsi que les sociétés SNCF, Esso et Total raffinage marketing en garantie des vices cachés et en responsabilité délictuelle.
La responsabilité contractuelle de la société effectuant l’étude des sols pour manquement à son obligation d’information et de conseil
La SCA souhaitait engager la responsabilité de la société Sol-essais sur le fondement du manquement à son obligation d’information et de conseil. La Cour de cassation a jugé, en l’espèce, que si la société d’études a été imprudente, les fautes commises par la SCA sont à l’origine de son propre préjudice.
- L’imprudence commise par le bureau d’études
Le bureau d’études a établi un diagnostic erroné.
Le rapport définitif en date du 24 juillet 1997 indiquait notamment que la teneur en hydrocarbures totaux était conforme aux normes, ce qui était surprenant puisqu’il n’existait alors pas de normes, en France, concernant les concentrations à respecter dans le sol3.
La Cour de cassation a qualifié la faute du bureau d’études de « faute d’imprudence », n’engageant pas sa responsabilité contractuelle.
La SCA arguait que le bureau d’études aurait dû préconiser une étude complète de recherche de la pollution adaptée à ses besoins. Le bureau d’études n’avait, en effet, préconisé que deux interventions consistant dans le prélèvement d’un échantillon d’eau et de deux échantillons de sol et ne portant que sur une partie du site (l’autre partie étant clôturée et inaccessible).
La SCA assimile implicitement la responsabilité du bureau d’études à celle des bureaux d’études spécialisés en matière d’amiante. Dans ce domaine, les bureaux d’études sont, en effet, tenus d’une obligation de moyen renforcée qui leur impose de déployer les efforts nécessaires à la détection de la pollution, sans se contenter, par exemple, de contrôler les seuls endroits indiqués par le maître d’ouvrage4. Lorsqu’il est impossible de réaliser le repérage de l’amiante dans l’ensemble de l’immeuble, les bureaux d’études doivent attirer l’attention du propriétaire sur la nature partielle de l’examen5.
Cependant, en l’espèce, la haute juridiction rejette cette argumentation. Selon la Cour, le fait de s’être prononcé sur la base de recherches insuffisantes et dans une matière qui ne relevait pas de sa propre spécialité (il s’agissait d’un bureau d’études géotechniques) constitue une simple faute d’« imprudence » qui n’engage pas la responsabilité du bureau d’études.
Il est cependant étonnant que ce dernier n’ait pas recommandé de recourir à une société spécialisée notamment dans la pollution de l’eau. Le bureau d’études incriminé avait au moins un devoir de mise en garde à l’encontre de son donneur d’ordre.
Il est vrai que les bureaux d’études spécialisés dans la pollution des sols et de l’eau étaient alors peu nombreux et il arrivait que ce soit les bureaux d’études géotechniques qui soient chargés d’études de pollution des sols et de l’eau.
La Cour juge que ce sont les propres fautes de la SCA qui ont pleinement contribué à la réalisation du préjudice qu’elle soutenait avoir subi à raison des travaux de dépollution.
- La faute du donneur d’ordre à l’origine de son préjudice
La Cour de cassation juge que c’est la SCA qui est à l’origine de son préjudice, dès lors que la mission confiée au bureau d’études était insuffisante au regard du projet de construction.
Elle lui reproche de ne pas avoir fait réaliser les études complètes et fiables prévues par la réglementation en vigueur, alors qu’il s’agissait d’un projet d’envergure, impliquant le changement d’usage d’un terrain industriel et la création d’un centre commercial. En effet, le bureau d’études avait été consulté pour une mission de type G11 selon la norme NF p. 94-500, correspondant à une étude géotechnique préliminaire de site. Cette mission ne recouvrait pas la recherche d’hydrocarbures, ni, de manière générale, l’étude des risques environnementaux.
La procédure de changement d’usage, mise en place par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové du 24 mars 2014, dite « loi ALUR », et par son décret d’application du 26 octobre 2015, devrait permettre désormais dans des hypothèses similaires d’éviter que les maîtres d’ouvrage ne puissent faire réaliser des études de sols insuffisantes. En effet, sur les terrains ayant accueilli une installation classée mise à l’arrêt définitif et ayant donné lieu à l’établissement d’un procès-verbal de récolement, (comme c’est le cas en l’espèce), lorsqu’un maître d’ouvrage envisage ultérieurement de changer l’usage du site, un bureau d’études certifié en matière de sites pollués doit désormais attester de la réalisation d’une étude de sols et de la prise en compte des préconisations de celle-ci pour assurer la compatibilité entre l’état des sols et l’usage futur du site dans la conception du projet de construction. Et cette attestation, dite « Attes », doit être jointe au dossier de demande d’un permis de construire6 .
Cette procédure de changement d’usage est également applicable dans l’ensemble des secteurs d’information sur les sols (SIS), définis comme comprenant « les terrains où la connaissance de la pollution des sols justifie, notamment en cas de changement d’usage, la réalisation d’études de sols et de mesures de gestion de la pollution pour préserver la sécurité, la santé ou la salubrité publiques et l’environnement »7 .
Dans tous les cas, nous recommandons fortement, notamment aux maîtres d’ouvrage non aguerris aux problématiques des sites et sols pollués, d’avoir recours à des bureaux d’études certifiés en matière de sites pollués et de contractualiser l’application des parties 1 et 2 de la norme NFX 31 620 de décembre 2018 qui fixent les exigences auxquelles doit satisfaire un prestataire de services en matière d’études des sols.
L’éviction de la garantie des vices cachés et de la responsabilité délictuelle des anciens propriétaires du terrain
La Cour de cassation rejette également les demandes en garantie des vices cachés et en responsabilité extracontractuelle contre les sociétés Esso, Total marketing France et SNCF.
- La connaissance de l’ancienne affectation industrielle des terrains évince la garantie des vices cachéss
La SCA se prévaut de la garantie des vices cachés contre les sociétés Esso, Total marketing France et la SNCF. Selon elle, le vice caché résidait dans la présence d’une pollution qui a nécessité la réalisation de travaux de dépollution importants et coûteux ainsi que l’adjonction de dispositifs onéreux destinés à neutraliser la pollution résiduelle.
La Cour de cassation avait déjà jugé, à plusieurs reprises, que la découverte du vice s’entend non seulement de celle de la pollution, mais également de son ampleur. Elle a ainsi, par exemple, condamné au versement de dommages et intérêts une société pétrolière dans un cas où la pollution était visible, mais son ampleur indétectable. Dans cet arrêt, la Cour avait jugé que le vice caché rendait l’immeuble impropre à sa destination, dès lors que toute construction restait risquée pour la santé ou la sécurité tant des participants au chantier que des futurs utilisateurs8.
Cependant, en l’espèce, contrairement aux affirmations de la SCA, la pollution ne rendait pas le terrain inconstructible : le projet de construction n’avait simplement pas été conçu en fonction de la pollution résiduelle. En outre, la SCA avait eu connaissance de l’ancienne affectation des terrains pris à bail, en dépôt et en stockage d’hydrocarbures. Elle aurait donc dû, selon la Cour, se livrer à une étude approfondie de l’ampleur de la pollution avant d’édifier sur ces terrains un centre commercial ouvert au public.
- Le respect de la procédure de remise en état par le dernier exploitant
La SCA a également engagé la responsabilité délictuelle des vendeurs pour méconnaissance de leur obligation de remise en état.
La Cour de cassation rejette également ce moyen, en relevant que le préfet n’avait émis aucune observation sur les travaux de mise en sécurité réalisés par les sociétés exploitantes, ni demandé des travaux supplémentaires. La fermeture des sites et leur remise en état étaient ainsi intervenues dans des conditions conformes à la réglementation applicable. La Cour rappelle ainsi les principes bien établis. En effet, à l’exception des cas où le document d’urbanisme prévoit un usage différent, le dernier exploitant n’est tenu que d’une obligation de remise en état pour un usage industriel comparable.
Le décret no 2010-368 du 13 avril 2010 a d’ailleurs précisé par la suite qu’en cas de modification ultérieure de l’usage du site le dernier exploitant ne peut se voir imposer de mesures complémentaires induites par ce nouvel usage9.
Par conséquent, la responsabilité délictuelle des vendeurs derniers exploitants sur le fondement de la méconnaissance de l’obligation de remise en état n’a pas été retenue.