Introduction
La Chambre de Commerce Internationale (« CCI ») a procédé à
une nouvelle révision de son règlement d’arbitrage.
Le règlement version 2021 (« Règlement 2021 ») s’appliquera aux
procédures d’arbitrage CCI initiées à compter du 1er janvier 2021,
indépendamment de la date de conclusion du contrat contenant la
clause d’arbitrage ou du compromis d’arbitrage (sous réserve des
dispositions spécifiques à l’applicabilité de l’arbitrage d’urgence et
de la procédure accélérée).
Le Règlement 2021 codifie certaines pratiques de la Cour
d’arbitrage de la CCI (la « Cour ») et introduit par ailleurs de
nouvelles mesures destinées à améliorer la flexibilité, l’efficacité et
la transparence des procédures d’arbitrage CCI.
Cette nouvelle version du règlement vient consolider les avancées
majeures accomplies par la Cour dans ces différents domaines
sous la présidence d’Alexis Mourre.
Ainsi depuis 2016, la CCI publie le nom des arbitres désignés dans
les procédures d’arbitrage CCI (sauf accord contraire des parties),
dans le but d’améliorer la transparence mais aussi de promouvoir
de nouvelles générations d’arbitres et d’encourager la diversité et
l’inclusion dans la constitution des tribunaux arbitraux.
Depuis 2016, la Cour a également la possibilité de réduire les
honoraires des arbitres qui rendraient leur sentence avec un retard
injustifié.
Une innovation importante avait été introduite lors de la révision
du Règlement intervenue en 2017, à savoir la procédure d’arbitrage
accélérée (visant à l’origine principalement les litiges dont l’enjeu
financier ne dépassait pas 2 millions USD).
Enfin, en 2019, la CCI a annoncé que les sentences arbitrales
seraient désormais publiées (de façon anonymisée) deux ans
après avoir été rendues, étant précisé que les parties peuvent
s’opposer à cette publication ou l’aménager.
Le Règlement 2021 poursuit le travail accompli, en mettant plus
particulièrement l’accent sur l’arbitrage multipartite, les mesures
visant à garantir l’indépendance et l’impartialité du tribunal
arbitral et l’extension du champ d’application de la procédure
accélérée. Enfin, le Règlement se modernise en permettant aux
parties d’accomplir certaines formalités exclusivement par voie
électronique et en encourageant le recours aux audiences à
distance.
Arbitrage multipartite
Intervention de parties additionnelles
Le Règlement 2017 (article 7.1) n’envisage l’intervention d’une
partie additionnelle à l’arbitrage après la confirmation ou la
nomination d’un arbitre que si toutes les parties, y compris la
partie intervenante, y consentent. Dans le cadre du Règlement
2021, il sera désormais possible de demander au tribunal
d’autoriser l’intervention d’une partie additionnelle sans obtenir
l’accord de toutes les parties, à la seule condition que la partie
additionnelle accepte la constitution du tribunal et les termes
de l’acte de mission (article 7.5). Le tribunal devra pour prendre
sa décision porter une attention particulière aux circonstances
du litige et notamment (i) à sa compétence prima facie, (ii) au
moment où la demande lui a été soumise, (iii) aux éventuels
conflits d’intérêts, et (iv) à l’impact de cette intervention sur la
procédure d’arbitrage en cours.
Jonction d’arbitrages - consolidation
Là où l’article 10 du Règlement 2017 n’envisage la jonction de
plusieurs arbitrages, autrement appelée consolidation, que
lorsque « toutes les demandes formées dans ces arbitrages
l’ont été en application de la même convention d’arbitrage », le
nouvel article 10 du Règlement 2021 ajoute « ou des mêmes
conventions d’arbitrage ». Cette précision est importante et
bienvenue en ce qu’elle autorise la jonction d’arbitrages fondés
sur des contrats distincts et entre des parties différentes dès
lors que les conventions d’arbitrage sont identiques. Or, il s’agit
là d’une situation habituelle dans les opérations complexes
telles que les opérations de construction ou de financement de
projets impliquant de multiples parties et contrats liés.
Constitution du tribunal arbitral
Le Règlement 2021 introduit à l’article 12.9 une faculté pour la Cour
de nommer tous les membres du tribunal arbitral, en écartant la
méthode de constitution prévue dans la clause d’arbitrage. Cette
faculté doit être exercée dans « des circonstances exceptionnelles
» et pour éviter un risque important d’inégalité de traitement ou
d’injustice qui pourrait affecter la validité de la sentence.
A n’en pas douter, cette nouvelle faculté donnée à la Cour
a entre autres pour objectif de permettre de surmonter
les difficultés de constitution du tribunal arbitral dans les
hypothèses où la jurisprudence Dutco aurait à s’appliquer. Pour
mémoire, dans l’arrêt dit Dutco de 1992, la Cour de cassation a
érigé en principe d’ordre public international l’égalité des parties
dans la constitution du tribunal arbitral et a précisé que les
parties ne peuvent y renoncer avant la naissance de tout litige.
Indépendance et impartialité du tribunal
Mesures permettant d’exclure des conseils des
parties désignées après la constitution du tribunal
arbitral
Afin d’éviter la survenance de conflits d’intérêts en cours de
procédure, le nouvel article 17.2 permet au tribunal arbitral
d’exclure de tout ou partie de la procédure des conseils qui
seraient désignés par une/des partie(s) après la constitution
du tribunal arbitral. L’article 17.1 met par ailleurs à la charge
des parties l’obligation d’informer promptement la CCI de tout
changement intervenu dans leur représentation.
Intervention de tiers financeurs
Il sera également désormais obligatoire pour les parties de
révéler l’intervention d’un tiers financeur dans le cadre de la
procédure d’arbitrage, aux termes du nouvel article 11.7 du
Règlement. Ce point vient mettre fin à une polémique sur la
nécessité pour les parties de faire cette révélation, de manière
à éviter que les arbitres puissent se retrouver, à leur insu, en
conflit d’intérêt avec une partie financée par un tiers financeur.
Cette nouvelle disposition s’inscrit dans un mouvement plus
général tendant à privilégier la transparence en matière
d’arbitrage international. Ainsi, en février 2017, le Conseil
de l’Ordre du Barreau de Paris avait adopté une résolution
prévoyant que « l’avocat représentant une partie financée
doit inciter son client à révéler aux arbitres l’existence d’un
financement et mettre son client en garde contre les éventuelles
conséquences que ce défaut de révélation est susceptible
d’entraîner, en particulier en ce qui concerne la nullité de la
sentence et les obstacles à son exécution ».
Arbitrage d’investissement
Enfin, en ce qui concerne les arbitrages d’investissement fondés
sur un traité, il est désormais expressément prévu - sous réserve
d’accord contraire des parties - qu’aucun arbitre ne sera de la
même nationalité que l’une quelconque des parties, de manière à
offrir des gages supplémentaires de neutralité du tribunal arbitral
(nouvel article 13.6).
Procédure accélérée
L’introduction d’une procédure d’arbitrage accélérée était l’une
des grandes nouveautés du Règlement 2017. Pour rappel,
la procédure accélérée est généralement conduite par un
arbitre unique et vise à obtenir une sentence dans un délai
de 6 mois. Elle prévoit l’application de frais administratifs et
d’honoraires réduits par rapport à la procédure classique tout
en encourageant les parties et l’arbitre à limiter notamment les demandes de production de pièces, la longueur et la portée des
écritures, les auditions de témoins ou experts et la tenue d’une
audience. La procédure d’arbitrage accélérée connaît déjà un
certain succès alors qu’elle n’est applicable qu’aux arbitrages
fondés sur des conventions d’arbitrage conclues à compter du
1er mars 2017 (146 affaires entre mars 2017 et fin 2019). Cette
procédure accélérée était jusqu’à présent applicable à tous les
arbitrages jusqu’à un montant en litige de 2 millions USD, sauf
exclusion (« opt-out »), ce qui représente tout de même 36,3
% des arbitrages enregistrés par la CCI en 2019. Le Règlement
2021 étend désormais le champ d’application de la procédure
accélérée aux arbitrages avec un montant en litige jusqu’à
3 millions USD et fondés sur des conventions d’arbitrage
conclues à compter du 1er janvier 2021. La procédure accélérée
reste par ailleurs ouverte aux parties qui le souhaitent, sauf
décision contraire de la Cour, lorsque l’enjeu du litige dépasse
le seuil précité (les parties ont fait ce choix « opt-in » dans 21
affaires en 2019). Ce changement s’inscrit très clairement dans
la volonté de rendre la procédure d’arbitrage CCI plus efficace
et moins onéreuse pour les litiges de faibles montants.
Sentences additionnelles
Le Règlement 2021 a introduit un nouvel article 36.3 permettant
aux parties, dans les trente jours de la réception de la sentence,
de solliciter du tribunal arbitral une sentence additionnelle
pour répondre aux demandes sur lesquelles il aurait omis de
statuer. Comme en matière de correction et d’interprétation de
sentences, l’autre partie/les autres parties aura/auront un délai
n’excédant pas normalement trente jours pour répondre à la
demande de sentence additionnelle, et le tribunal arbitral aura
lui-même un délai de trente jours maximum pour soumettre son
projet de sentence additionnelle à la Cour.
Modernisation – Communications électroniques
Dès le 9 avril 2020, la CCI avait réagi au défi de la crise sanitaire
mondiale liée au Covid-19 en publiant une Note d’orientation
sur les mesures permettant de réduire l’impact de cette crise
sur les arbitrages en cours et incitant notamment les arbitres
et les parties, lorsque cela est possible, à envisager la tenue
d’audiences à distance.
C’est également l’approche du Règlement 2021 qui prévoit
que « le tribunal peut décider, après avoir consulté les parties,
et au regard des faits pertinents et circonstances du litige,
que toute audience se tiendra en présentiel ou à distance
par vidéoconférence, téléphone ou tout autre moyen de
communication approprié » (article 26(1)).
Cette précision était attendue dans la mesure où elle permet
de réduire les coûts et délais et vient reconnaître une pratique
existante et de plus en plus courante. Elle donne également aux
arbitres le pouvoir de résoudre des situations dans lesquelles
une audience physique s’avère impossible ou très difficile
à organiser ou encore de mettre fin à certaines stratégies
dilatoires. L’avenir nous dira si ce changement de cadre se
généralisera. Les avantages des audiences à distance ne
doivent cependant pas occulter les nombreux défis qu’elles
impliquent et notamment le fait qu’il est difficile d’apprécier la
crédibilité d’un témoin à distance ou de l’interroger de manière
efficace.
Il faut relever enfin que dans un souci de modernisation et de
préservation de l’environnement, le Règlement 2021 favorise les
communications par voie électronique plutôt que sur support
papier en prévoyant notamment que les demandes d’arbitrage
et réponses ne devront désormais être communiquées en
version papier que lorsqu’une partie en fait la demande (articles
3(1), 4(4), et 5(3)).