Introduction
En France, plus de 900 000 tonnes d’hydrogène sont produites chaque année pour couvrir les besoins de l’industrie française. Forte de ses capacités de production, la filière hydrogène française porte un potentiel d’exportation qui pourrait atteindre les 6.5 milliards d’euros à l’horizon 2030, et 15 milliards d’euros en 2050.
L’hydrogène est issu à 94% de ressources fossiles – pétrole, gaz naturel, charbon. C’est l’hydrogène dit « gris ». Les trois marchés principaux en matière industrielle sont la désulfurisation de carburants pétroliers, la synthèse d’ammoniac (principalement pour la production d’engrais), et la chimie.
L’hydrogène dit « vert » ou « bas-carbone », produit non à partir d’énergies fossiles mais par un procédé d’électrolyse à partir de sources d’énergies renouvelables, permet une véritable réduction de l’émission de gaz à effet de serre et de la consommation d’énergie fossile.
L’hydrogène bas-carbone reçoit de nombreuses applications en France. En matière de mobilité, l’hydrogène fournit des solutions propres et complémentaires de la mobilité électrique et permet ainsi de développer la mobilité propre, l’un des objectifs de la transition énergétique.
Dans l’industrie, l’hydrogène est consommé en quantités élevées, notamment par les industries de la chimie et de la raffinerie. La production d’hydrogène propre se pose donc en véritable alternative à une production d’hydrogène émettant de fortes quantités de gaz à effet de serre.
En matière d’énergie, l’hydrogène constitue un mode de stockage prometteur des excédents d’électricité renouvelable grâce au procédé dit « Power to gas ». L’hydrogène est produit par un processus de conversion de l’électricité d’origine renouvelable (éolien ou solaire), et est ensuite injecté dans les réseaux de gaz pour être stocké ou mis au service d’autres usages.
Le cadre réglementaire français
La loi Energie
Le déploiement de l’hydrogène est principalement encadré par la loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat (loi Energie).
L’article 1 de la loi Energie vient inscrire dans le code de l’énergie l’objectif de neutralité carbone en 2050, et l’objectif de développer l’hydrogène bas-carbone pour atteindre 20 à 40% de la consommation totale d’hydrogène et d’hydrogène industriel d’ici 2030.
La loi Energie ouvre également la voie à un cadre réglementaire par voie d’ordonnances. L’article 52 autorise le gouvernement à prendre des ordonnances pour définir la terminologie des différents types d’hydrogène, définir un cadre de soutien applicable à l’hydrogène bas-carbone et permettre la production, le transport, le stockage et la traçabilité de l’hydrogène. Un dispositif de garanties d’origine est également prévu pour l’hydrogène d’origine renouvelable.
Enfin, la loi Energie garantit dans son article 49 un droit d’accès aux ouvrages de gaz naturel aux producteurs d’hydrogène bas carbone. Ce droit d’accès couvre les ouvrages de transport, de distribution de gaz et les installations de gaz naturel liquéfié. Il est garanti sous réserve de préserver le bon fonctionnement et le niveau de sécurité des infrastructures.
La Programmation Pluriannuelle de l’Energie
La politique énergétique française est mise en œuvre, notamment, via la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) qui exprime dans un décret et un rapport les principaux objectifs énergétiques ainsi que les orientations et priorités d’action des pouvoirs publics. La PPE 2019-2028, publiée le 23 avril 2020, vise notamment à améliorer la compétitivité de la filière hydrogène française en déployant des solutions à horizon 2030-2040.
La PPE 2019-2028 vise l’hydrogène industriel, l’hydrogène pour la mobilité et l’hydrogène pour le stockage, et fixe dans chacun de ces domaines des objectifs d’augmentation de la consommation d’hydrogène à horizon 2023 et 2028:
- 1 à 10 démonstrateurs de Power to gas en 2023 et 10 à 100 démonstrateurs en 2028 ;
- un taux d’incorporation d’hydrogène décarboné dans l’hydrogène industriel de 10% en 2023 et de 20 à 40% en 2028 ;
- un nombre de véhicules utilitaires légers à hydrogène de 5 000 en 2023 et 20 000 à 50 000 en 2028 ; et
- un nombre de véhicules lourds à hydrogène de 200 en 2023 et 800 à 2 000 en 2028.
Pour atteindre ces objectifs, la PPE prévoit différentes mesures:
- mettre en place un soutien au développement de l’hydrogène décarboné à hauteur de 50 M€ par an et lancer des appels à projet sur la mobilité et la production d’hydrogène à l’aide d’électrolyseurs ;
- mettre en place en 2020 un système de traçabilité de l’hydrogène décarboné ;
- prolonger la mesure de sur-amortissement à l’achat de véhicules hydrogène a minima dans les mêmes conditions que pour le gaz naturel pour véhicules ;
- mobiliser les institutions financières et standardiser les modèles de cofinancement pour les projets de déploiements d’écosystèmes mutualisant au niveau local différents usages (mobilité, industrie, etc.) dans les territoires ;
- mener avec tous les acteurs concernés une réflexion sur la simplification et l’harmonisation des procédures d’autorisation et d’homologation des bateaux et des solutions d’avitaillement en hydrogène associées ;
- poursuivre un soutien à l’innovation, en particulier pour accompagner l’industrialisation et le passage à l’échelle des acteurs français.
Un arrêté de prescription générale sur les stations hydrogène
Deux textes de même date ont introduit une réglementation des stations hydrogène. Le décret n° 2018-900 du 22 octobre 2018 a créé une rubrique 1416 « Stockage ou emploi d’hydrogène » dans la nomenclature des installations classées (ICPE).
L’arrêté du 22 octobre 2018 prévoit la réglementation applicable depuis le 1er janvier 2019. L’arrêté vise les stations, ouvertes ou non au public, qui produisent plus de 2 kg d’hydrogène par jour et où l’hydrogène est transféré dans les réservoirs de véhicules. Le texte fixe les règles relatives à la mise en conformité des stations à hydrogène, à l’exploitation des installations, à la sécurité, et à la gestion de l’eau, des déchets, et du bruit.
Les mesures de soutien : industrie, transports et énergie
La France s’est dotée en 2018 d’un plan de déploiement de l’hydrogène pour la transition énergétique piloté par le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire. Le plan d’action se décline sur trois axes : la production d’hydrogène par électrolyse pour l’industrie, la valorisation de la mobilité propre en complémentarité de la filière batterie, et l’hydrogène comme élément de stabilisation des réseaux énergétiques.
Dans le cadre de ce plan de déploiement ont été lancés divers appels à projets et appels à manifestations d’intérêt (AMI).
L’Agence de la Transition Ecologique (ADEME) a ainsi lancé en 2018 un appel à projets « Ecosystèmes de mobilité hydrogène », dont les deux sessions ont mené à la sélection de vingt lauréats – les dix derniers lauréats ayant été annoncés le 20 janvier 2020. Doté d’un financement de 80 millions d’euros, l’appel à projets permettra le déploiement de plus de 43 stations-service hydrogène et 158 poids lourds.
Un appel à projets « Production et fourniture d’hydrogène décarboné pour des consommateurs industriels » a été lancé par l’ADEME en février 2019 dans le cadre du Programme d’Investissements d’Avenir (PIA) piloté par l’Etat français. Pour un financement de 11,5 millions d’euros, cinq lauréats ont été sélectionnés : deux projets d’hydrogène fatal portés par Kem One et par une société détenue par Storengy et Engie Solutions, et trois projets de production sur site portés par Engie Solutions dans le secteur pharmaceutique et dans le secteur agroalimentaire et par Hynamics dans le secteur de la chimie des matériaux. D’après le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, « L'ensemble de ces projets permettra de substituer plus de 40 000 tonnes d'hydrogène carboné par un hydrogène décarboné et d'éviter l'émission de 418 000 tonnes de CO2 sur la durée de vie des installations (15 ans) ».
Un appel à manifestation d’intérêt (AMI) « Projets d’envergure sur la conception, la production et l’usage de systèmes à hydrogène » a été lancé début 2020 dans le but d’identifier des projets industriels et d’infrastructure d’envergure qui pourraient permettre de développer le savoir-faire industriel français dans la filière hydrogène. Cet AMI n’étant pas doté d’un financement, les projets sélectionnés pourront recevoir un soutien dans le cadre d’appels d’offres ultérieurs et/ou au niveau européen.
Enfin, un appel à manifestation d’intérêt (AMI) « Aide à l’émergence de la mobilité hydrogène dans le secteur ferroviaire », doté de 22 millions d’euros, a été clôturé le 23 mars 2020. L’AMI vise les autorités organisatrices des transports ferroviaires régionaux, dans une perspective de développement de la mobilité hydrogène dans le secteur ferroviaire et en particulier au moyen des trains bi-mode électrique/hydrogène.
Projets en cours et perspectives
Le Power to gas, une opportunité pour la filière hydrogène
GRHYD, le premier démonstrateur français à destination de l’habitat
Le projet GRHYD, lancé en 2014 et inauguré le 11 juin 2018, est un projet à échelle locale piloté par Engie en partenariat avec GRDF, le Commissariat à l´énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Areva H2Gen, et l’Ademe. Le démonstrateur utilise de l’électricité d’origine éolienne et alimente une centaine de logements en hydrogène décarboné sur le territoire de la Communauté urbaine de Dunkerque, pour le chauffage, l’eau chaude, et la cuisson. L’hydrogène est mélangé au gaz naturel à hauteur d’un volume maximal 20% du volume total de gaz distribué. L’expérimentation de ce démonstrateur doit permettre d’évaluer les perspectives économiques et techniques du Power to gas à destination de l’habitat, selon les différents niveaux d’injection d’hydrogène dans le réseau. A terme, le Power to gas sera éventuellement déployé sur le territoire national grâce à l’optimisation technique et économique permise par le projet.
Jupiter 1000, le premier démonstrateur industriel raccordé au réseau de transport de gaz français
Le projet Jupiter 1000, piloté par le gestionnaire de réseau de transport de gaz GRTgaz, a permis à ce dernier de réaliser les premières injections d’hydrogène dans son réseau le 20 février dernier. Le démonstrateur, situé à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), a une puissance de 1 MW et une capacité de production de 5 millions de kWh d’énergie sur trois ans. En permettant l’injection d’hydrogène dans les réseaux existants, le Power to gas permet de valoriser l’électricité renouvelable excédentaire en la stockant au moyen d’infrastructures déjà existantes pour le gaz, ce qui aboutit à une plus grande flexibilité du réseau électrique. Ce projet permettra, d’une part, de développer les différentes technologies participant au Power to gas, et d’autre part, d’explorer les perspectives économiques du Power to gas en France en évaluant les performances de l’installation et en testant l’usage de l’hydrogène dans un cadre industriel.
Les bus à hydrogène pour une mobilité propre
Tethys à Lyon
Parmi les projets retenus dans le cadre de l’appel à projets « Ecosystèmes de mobilité hydrogène » de l’Ademe, le projet Tethys porté par le syndicat mixte des transports pour le Rhône et l’agglomération lyonnaise (Sytral) vise l’expérimentation de la circulation de deux bus à hydrogène sur une ligne de bus du réseau de transports en communs lyonnais, lesquels seront alimentés au moyen d’une infrastructure existante. A la clé, le renouvellement de la flotte de bus d’ici 2025. Les bus fonctionneront au moyen d’une pile à combustible produisant de l’électricité à partir de l’hydrogène.
Fébus à Pau
Le projet Tethys n’est pas le premier dans son domaine : la ville de Pau a inauguré le 17 décembre 2019 son service de bus à haut niveau de service à hydrogène, Fébus. Le projet Fébus fait également partie des lauréats de l’appel à projets « Ecosystèmes de mobilité hydrogène » de l’Ademe. Les bus sont propulsés grâce à une pile à combustible et sont rechargés quotidiennement dans une station à hydrogène. Les bus articulés de 18 mètres circulent sur un trajet de 6 kilomètres parcouru en moins de 18 minutes. Le projet a été porté par le Syndicat mixte des transports urbains de l'agglomération paloise (SMTU), Engie, Van Hool et ITM Power.
L’application de la pile à combustible au transport maritime
Hydrogène de France et ABB Marine International, entreprise spécialisée dans le transport maritime électrique, ont signé un accord de coopération (memorandum of understanding) dans le but de développer un système de pile à combustible d’une puissance supérieure à 1 MW destiné à l’usage des navires. Le système sera utilisé pour l’alimentation à quai des gros navires et la propulsion des plus petits. Les piles à combustible seront produites dans l’usine bordelaise d’Hydrogène de France (HDF Industry). A terme, ces applications visent à participer au développement de la filière hydrogène dans l’industrie maritime et contribuer à la réduction des émissions de CO2 par l’industrie maritime. D’après l’Organisation Maritime Internationale, agence de l’ONU, le secteur maritime est responsable d’environ 2,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. L’objectif fixé est de réduire les émissions annuelles de 50% à l’horizon 2050 par rapport à 2008.
Des écosystèmes territoriaux pour l’hydrogène vert
Hydrogène vert dans le Morbihan
Le 6 mars 2020, Engie Solutions, Michelin et Morbihan Energies ont signé des accords aux fins d’alimenter le site industriel Michelin de Vannes ainsi qu’une station de recharge pour véhicules légers et poids lourds qui sera située à proximité. Lauréat de l’appel à projets « Ecosystèmes de mobilité hydrogène » de l’Ademe, le projet doit être mis en service fin 2020 et est porté par la société Hygo, fondée par Engie et Morbihan Energies. Le projet permettra de développer l’usage de l’hydrogène au niveau local dans le Morbihan.
Le développement d’écosystèmes territoriaux, dans le cadre desquels la production massive d’hydrogène pourra alimenter des usages différents, constitue une véritable perspective de développement pour une filière hydrogène française compétitive. A l’image de la Zero Emission Valley dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, portée par la Région Auvergne-Rhône-Alpes, Michelin, Engie, la Banque des Territoires et le Crédit Agricole. La Zero Emission Valley doit permettre de développer la mobilité hydrogène au niveau régional grâce au déploiement de 20 stations, 1 000 véhicules et 15 électrolyseurs dans la région à l’horizon 2023.