Une action visant à réclamer des dommages liés à de fausses dénonciations à la police est-elle soumise à la prescription d’un an de l’article 2929 du Code civil du Québec (C.c.Q.) applicable aux actions fondées sur une atteinte à la réputation? La Cour d’appel du Québec a récemment répondu par la négative à cette question et statué que l’article 2925 C.c.Q., prévoyant la règle générale de prescription triennale, s’appliquait à un tel recours.


Contexte factuel

Dans l’affaire Desbiens c. Standish1, trois adolescentes portent plainte à la police pour dénoncer X. À la suite de ces plaintes, X est accusé d’agressions sexuelles et arrêté. Parallèlement, X est suspendu de l’école secondaire qu’il fréquente alors et les élèves de l’établissement sont informés des accusations pesant contre lui. Les parents de X colligent alors des éléments de preuve permettant de le disculper, ce qui mènera ultimement à son acquittement, et ce, pour l’ensemble des accusations portées contre lui. 

Les parents de X, agissant personnellement et pour le compte de leur fils, intentent des procédures en février 2020 afin d’obtenir une compensation pécuniaire en raison de la conduite des trois plaignantes, qui auraient « induit les policiers et les procureurs de la Couronne en erreur en soumettant des allégations fausses et mal fondées »2. Ils invoquent que les plaignantes ont violé l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne3, lequel protège le droit à la sauvegarde de la dignité, de l’honneur et de la réputation. La demande introductive d’instance n’allègue toutefois pas spécifiquement une atteinte à la réputation de X. 

La demande est déposée moins de trois ans, mais plus d’un an, après que le délai de prescription extinctive a commencé à courir. Les défendeurs en première instance, parents et tuteurs des trois adolescentes dénonciatrices, déposent une demande en irrecevabilité fondée sur l’article 168 al. 2 du Code de procédure civile (C.p.c.)4, prétendant que l’action en est une en diffamation et qu’elle est donc prescrite en application de l’article 2929 C.c.Q.

Historique judiciaire

Statuant sur la demande en irrecevabilité, la Cour supérieure conclut que la question centrale en litige en est une d’atteinte à la réputation : les actes commis par les plaignantes – à savoir les déclarations mensongères aux policiers ayant engendré des accusations criminelles et des arrestations – constituent un geste fautif qui s’avère diffamatoire. 

Ce faisant, la Cour supérieure conclut que le recours est visé par l’article 2929 C.c.Q. et rejette l’action des parents de X au motif qu’elle est prescrite. C’est donc dans ce contexte que ceux-ci portent l’affaire en appel. 

L’arrêt de la Cour d’appel 

Pour les motifs rédigés par la juge Bich, auxquels souscrit le juge Kalichman, la Cour accueille l’appel et infirme le jugement de première instance5

La Cour rappelle d’abord que l’article 2929 C.c.Q. constitue une exception à la prescription triennale devant être interprétée « d’une manière aussi restrictive que ses termes le permettent »6

La Cour indique ensuite qu’il convient, comme toute première étape de l’analyse, de « procéder à la qualification de l’action et [de] se demander si elle est – ou non – “fondée sur une atteinte à la réputation”7» . Il s’agit d’évaluer les allégations factuelles qui sous-tendent la demande introductive d’instance et qui permettent d’identifier l’acte fautif à la source de l’action.

En l’espèce, la Cour est d’avis que l’acte fautif générateur découle du fait que les adolescentes ont déclenché une enquête policière par des déclarations qu’elles savaient être fausses, ce qui aurait causé un préjudice aux appelants ainsi qu’à leur fils. À ce titre, la Cour reconnaît qu’il existe un certain courant jurisprudentiel tendant à reconnaître que les actions entreprises à la suite de fausses dénonciations aux autorités policières doivent être considérées comme fondées sur une atteinte à la réputation. Cela dit, un autre courant jurisprudentiel reconnaît, quant à lui, qu’une telle conduite constitue plutôt une faute civile, qui peut déclencher l’application de l’article 1457 C.c.Q., sans toutefois recourir à la notion de diffamation. C’est à cette approche que se rallie la Cour, concluant que l’action des appelants « n’est pas de la nature d’une action en diffamation »8.

La juge Bich décortique la notion de diffamation et indique qu’elle forme, avec la liberté d’expression, un « binôme largement indissociable »9, en ce sens que le recours en diffamation oppose nécessairement le droit à la réputation et la liberté d’expression. La diffamation consiste en l’exercice fautif de la liberté d’expression. Selon la Cour, rien dans l’historique législatif de l’article 2929 C.c.Q. (ou de son prédécesseur dans le Code civil du Bas-Canada) ne permet de penser que cette disposition doive s’appliquer à d’autres types de situations. 

Or, en l’espèce, la Cour est d’avis que l’acte fautif générateur ne découle pas d’un usage fautif de la liberté d’expression, mais plutôt de l’exercice abusif du droit de toute personne de dénoncer aux autorités la commission d’un crime.  

Bien qu’elle admette qu’une telle faute a pu, de façon incidente, entacher la réputation de X, la Cour est d’avis que cet acte fautif a d’abord et avant tout entravé sa liberté. Ainsi, pour les juges majoritaires, le véritable fondement de l’action consiste en l’atteinte à la liberté de X, précisément dans la mesure où les dénonciations mensongères ont entraîné une arrestation, suivie d’une poursuite criminelle. Conclure autrement, selon la Cour, donnerait « une portée trop large à l’art. 2929 C.c.Q., disposition d’exception », laquelle s’éloignerait de la notion même de diffamation « qui en est le cœur »10.

La Cour d’appel conclut donc que l’action en responsabilité qui découle d’une atteinte au droit à la liberté, protégé par l’article 1 de la Charte des droits et libertés de la personne, n’est pas visée par l’article 2929 C.c.Q., mais plutôt par l’article 2925 C.c.Q., qui prévoit la règle générale de délai de prescription de trois ans. Ce faisant, elle accueille l’appel et rejette la demande en irrecevabilité des intimés. 

Conséquences pratiques

Le raisonnement de la Cour dans cette affaire apporte un éclairage utile quant à la méthode à suivre afin de déterminer le délai de prescription applicable à une action qui résulte de fausses plaintes criminelles à la police. 

Bien que la Cour ait tenu à préciser que son analyse était limitée à la situation de la plainte malveillante ou déraisonnable auprès des autorités policières, criminelles ou pénales, et non aux autres types de dénonciations, il demeure que son cadre d’analyse, axé sur les allégations de la demande introductive d’instance et le fait générateur de préjudice, de même que ses commentaires quant à la portée de l’article 2929 C.c.Q., seront transposables et utiles à d’autres types d’actions mettant en cause l’atteinte à la réputation. 

Par ailleurs, puisque cet arrêt de la Cour d’appel s’inscrit dans le cadre d’une demande en irrecevabilité, les faits allégués dans la demande introductive d’instance ont été tenus pour avérés. L’application du cadre établi par la Cour d’appel pourrait donc mener à un résultat différent dans un dossier pouvant sembler, de prime abord, semblable à celui-ci, si la question de la prescription était plutôt soulevée lors du procès, auquel cas le juge présidant celui-ci aurait le bénéfice de l’ensemble de la preuve et pourrait conclure qu’en réalité, les faits prouvés diffèrent de ceux qui ont été allégués dans le présent dossier.

Enfin, notons que tant la juge Bich, pour les juges majoritaires, que le juge Bachand, dissident, ont évoqué l’obsolescence potentielle de l’article 2929 C.c.Q. En effet, le caractère passager de l’atteinte à la réputation, qui justifiait originalement la prescription d’un an11, est de plus en plus discutable à l’ère du numérique, où les atteintes à la réputation peuvent laisser des traces indélébiles. Il faudra donc rester à l’affût pour voir si ces commentaires de la magistrature trouveront écho auprès du législateur12

L’autrice tient à remercier Clara Larocque, stagiaire, pour son aide dans la préparation de la présente actualité juridique.

 

Notes

2   2024 QCCA 725, paragr. 12, citant la demande introductive d’instance au paragr. 18. 

4   Cet alinéa prévoit la possibilité de demander le rejet d’une action si celle-ci « n’est pas fondée en droit, quoique les faits allégués puissent être vrais ».

5   Le juge Bachand, dissident, conclut quant à lui, à l’instar de la Cour supérieure, que le recours correspond à une action en diffamation et est donc soumis au délai de prescription d’un an de l’article 2929 C.c.Q.

6   2024 QCCA 725, paragr. 57.

7   Ibid., paragr. 60. 

8   Ibid., paragr. 89. 

9  

Ibid., paragr. 91.

10  

Ibid., paragr. 89.

11  

Ibid., paragr. 34.

12  

Le juge Bachand a noté que l’« abrogation de l’article 2929C.c.Q. [avait] été proposée en 2017, dans un projet de loi visant à accroître l’accès à la justice qui est mort au feuilleton : Projet de loi no 168, Loi visant à favoriser l’accès à la justice et à en accroître l’efficacité, 41e lég. (Qc), 1re sess., 2017, art. 36 ».



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